Le départ
Je pars de chez moi, il pleut, elle est froide. Je suis pessimiste, mais bien couvert. Pourvu quâon ne gèle pas. Il y a foule de coureurs dans le métro, mais je me suis ménagé une bonne place, assis, je mâéconomise ! Le métro est aérien, et je constate que ça se dégage. En fait, il a fait ensuite un temps splendide, presque un peu chaud dans le bois de Vincennes et, malgré quelques alertes de vent sur le retour, ça ne mâa pas semblé trop gênant.
Arrivé à lâEtoile, il est 7h45, je me dirige tranquillement vers les vestiaires. Petit repérage, câest cool. Je me change, mets mon beau poncho Jogging, ma casquette, ma bouteille et pose le sac. Direction, les étirements. Bien concentré, je mâapplique pendant 10 minutes. Lâambiance est décontractée, on est bien, finalement, sur la pelouse. Si jây reste on pourra croire que jâai couru non ?
8h10, direction le sas bleu. Le contrôle à lâentrée est bordélique, et à lâintérieur les files dâattente pour les toilettes compliquent encore la situation. Je devais essayer de rejoindre quelquâun mais je renonce. Il est 8h25 et lâattente démarre. Je bois régulièrement, tout en observant les alentours et⦠la météo. Le ciel est plutôt clément. Le soleil commence à émerger derrière les immeubles, il ne fait pas trop froid.
8h40, la foule sâagite, les ponchos et les T-shirts volent. Je suis à peu près au milieu des Champs, et je mâaperçois que, grâce à ce positionnement stratégique, jâévite de me prendre tous ces trucs sur la tête. 2 minutes avant le départ, jâenlève mon poncho et mon vieux T-shirt, que je dépose avec ma bouteille par terre, câest moins dangereux. Je me dis " ça y est, jây suis ". Après des mois de préparation, entrecoupés de coupures " tendinites ", câest quand même génial dâêtre là : il y a deux semaines, je pensais que câétait foutu ! Dans le même temps, une autre voix me dit : " ouais, mais tu vas sacrément en baver ".
8h45, le départ est donné ! 4 minutes plus tard, je franchis la ligne. Câest parti !
Les 10 premiers kilomètres
Je pars très lentement, je me laisse doubler par la foule (surtout que je suis dans le sas bleu). Ma tactique de course tient en deux choses : courir cool, de lâordre de 5â30 au km, et à droite de la chaussée. Pourquoi à droite ? Parce que le podologue mâavait dit que mon problème de tendinite était dû à une hanche droite un peu plus haute que la gauche. En profitant du bombé de la route, si je cours à droite, mon côté gauche est surélevé. Câest sans doute très bête mais en tous cas, je nâai pas eu de preuve que ça mâait été nocif durant la course !
La descente des Champs est très sympa, beaucoup de monde. Comme je ne me suis pas échauffé, je suis un peu lent (6â05 le premier km) : pas un problème, ça va venir. Rue de Rivoli, mon allure sâaméliore : 5â50 puis 5â38 puis 5â27 et 5â32. Ca y est je suis lancé. A chaque borne kilométrique, mon leitmotiv me revient : câest du bonus ! Lâambiance est vraiment décontractâ, je profite du paysage, jâécoute les spectateurs, les coureurs.
Premier ravitaillement, je ne prends que de lâeau. Jâaurais dû aller plus au fond pour être moins bousculé. Je mâen souviendrai. Les km avancent, je rate la borne du 7ème. Je note toujours mes temps intermédiaires sur mon chrono. Super ce chrono ! Je lâai configuré pour afficher en grand les temps intermédiaires, et en petit seulement le temps total. Bilan, il me sert pour le tempo mais jâévite de cogiter tout le temps sur le temps qui reste, etc. Chaque km est un bonus, je vous dis !
Après une quarantaine de minute, je sens la tendinite se manifester. Elle est bien là , comme dâhab, mais cette fois il se passe plein de choses autour. Je nây pense pas trop dâautant que la sensation reste modérée. Vers le 8ème kilo, une sensation bizarre au ventre. Incroyable ! Jâai faim ! Ca ressemble pas à une fringale mais câest indéniable, jâai faim ! Au ravitaillement du 10ème, je prends les mesures qui sâimposent : eau, orange et une banane entière (ils avaient pas eu le temps de la découper celle-là ). Je déguste mon festin, pour un 10ème km en 6â. Je passe aux 10 km en 56â37.
Le bois de Vincennes
A lâentrée du bois de Vincennes, mes allures se font plus régulières. Le 11ème kilo en 5â13 (on se calme) puis trois kilomètres de suite en 5â24, le 15ème en 5â22. Les ballons violets (3h45) me dépassent à lâentrée du bois, en deux vagues. Les meneurs haranguent leurs troupes ! Lâidée me vient de les suivre. Mais je me modère, je ne suis pas là pour un temps mais pour voir jusquâoù je vais, et si possible au bout. Le bonus, câest de courir !
La forme est là , je suis toujours décontracté, je profite du bois, je regarde les gens autour de moi, échange quelques mots. Je me restaure encore au ravitaillement du 15ème (toujours cette sensation de faim), avec une ration qui sera la même jusquâau bout pour chaque ravitaillement : un bout dâorange, un ou deux bouts de banane, un sucre, et la bouteille dâeau, que je bois au moins aux tiers, par petites gorgées, sur au moins un kilomètre de distance. Je parcours le 16ème kilo en 5â40 et je commence à me dire que le moment est bien choisi pour une pause-pipi. Un arbre accueillant plus tard, je boucle le 17ème en 6â.
Je suis sans doute plus léger, mais je parcours les trois km suivants un peu vite : 5â10, 5â14 puis 5â18. Je mâefforce pourtant de me décontracter, dâaller cool. A chaque km je pense au bonus. Je croise une connaissance qui essaie manifestement de traverser la route emplie de coureur. Je lui lance un " salut " enjoué. Il a lâair tout surpris.
On sort du bois maintenant, au loin lâarche du semi. Le public est nombreux et bruyant, et il ne reste quâun espace assez étroit pour les coureurs, ça fait presque bouchon. Je passe au semi en 1h57â08. Je suis bien dans le rythme que je me suis donné, les sensations sont bonnes. On continue, câest bonus !
De la porte dorée aux quais
Je vérifie mon allure au 22ème : 5â37. La route étant plus étroite, jâai sans doute instinctivement ralenti. Je passe exprès au plus près des spectateurs, on se sent plus porté même si la majorité des encouragements sâadresse aux femmes. On est galants ou on ne lâest pas en France. Tout à coup, je réalise : je nâai jamais couru aussi loin, je suis en territoire inconnu. Allez, on profite de ces sensations nouvelles.
Câest peut-être le groupe présent à la fin de la rue de Charenton, très dynamique, qui mâentraîne, mais je boucle le 23ème en 5â08. Il est plus probable que ce soit parce que je sais que ma femme mâattend au 24ème km, sur lâavenue Daumesnil. Je la cherche quelques centaines de mètre puis la vois. Super ! Un bisou, gros booster de moral et câest reparti. 5â28 pour le kilomètre 24, on arrive au ravitaillement : je fais le plein, il ne sâagit pas de laisser les choses au hasard ! Et voilà les quais qui approchent. Au moment de tourner, je sens une bourrasque de vent. Aïe ! Le vent va être un sacré ennemi. En fait, ce sera la seule fois où je le sentirai vraiment.
Les quais
Là , je sais que la partie facile du parcours est derrière moi. Devant, les tunnels, puis les derniers kilomètres. Je me concentre bien sur les bornes kilomètres, que jâégrène comme des bonus successifs. Sous le premier tunnel, le plus long, je repère une connaissance de travail : " salut, comment ça va ? ". Il a des crampes au mollet, il est inquiet pour la suite. On discute 500m, puis il sâarrête pour sâétirer juste avant la montée.
Ha ! Les montées ! Jâen avais entendu parler donc je suis préparé. Je réduis bien ma foulée, je les prends tout en souplesse, sans forcer. Et surtout je compte ! Je sais quâil y en a quatre. En haut de chacune, je me dis " et dâune ! ", etc. Ces kilomètres se font à une allure plus modérée, je tourne à 5â40-5â45.
Au km 28, je suis sensé retrouver ma femme. Je la cherche, je la cherche mais sans la voir. En fait elle a dû arriver un poil trop tard à Concorde. Ca me fout un coup au moral. En plus, je commence à sentir mes mollets se durcir un peu. Je suis un peu inquiet pour la suite. Jâhésite à consommer un gel énergétique mais je nâai pas dâeau. Je me reconcentre : chaque borne passée est un super-plus, je ne mâattendais presque pas à aller si loin.
Et arrive le kilomètre 30 : on distribue des gels énergétiques, jâen prends un. Jâattends le ravitaillement pour le consommer (toujours avec orange, banane et sucre, et bien sûr de lâeau). Malgré cela, je couvre le 31ème en 6â04. Lâambiance a changé : au ravitaillement, on voit des gens se faire étirer ou soigner au poste de secours. Depuis le 25ème, on commence à voir des gens marcher, dâautres sâétirer. Après le 30ème km, finis les joyeux lurons qui fanfaronnent et jouent avec le public.
Je me souviens quâun marathon câest 30 km de prologue et 12,195 km de course. Je me dis ça y est, la course commence ! Je garde le rythme, en bouclant le 32ème en 5â37, avant de quitter les quais.
Vers le bois de Boulogne
Câest la montée vers le bois de Boulogne : avenue de Versailles, rue Mirabeau. Le parcours est plus étroit, beaucoup de gens grimacent. Tiens, jâai cessé de me faire doubler, ou presque. Pourtant le 33ème est en 5â52, le 34ème en 5â38. Je commence un décompte malhonnête : 4km courus sur 12 de course réelle, câest déjà un tiers de fait ; ça paraît peu mais ça progresse plus vite que de compter par rapport à 42 !
Je commence à sentir les premiers signes dâune crampe au mollet droit. Je ne mây attendais pas à celle-là . Tout à lâheure, en voulant décontracter ma tendinite (tiens elle mâembête plus trop celle-là , doit être anesthésiée), jâai tenté quelques talon-fesse : jâai évité la crampe aux ischios de peu. Là câest le mollet : jâattaque mes foulées du talon pour étirer un peu.
Normalement, place dâAuteuil, je dois retrouver ma femme. Comme elle mâa attendu aux Tuileries, elles nâest pas au RV (jâaurais dû prendre mon portable !). Re-coup au moral. On contourne Roland-Garros : on mâa beaucoup parlé de ces faux-plats, mais jâadapte bien mon allure. Je boucle le 35ème en 5â45. Et là je réalise : câest un super-bonus celui-là , câest déjà génial de lâatteindre. Je suis au 35ème, je nâai plus le droit de mâarrêter, allez, encore un effort.
Le bois de Boulogne
Je me concentre sur le ravitaillement, je fais vraiment le plein, fais quelques pas en marchant pour lâoccasion et je sors mon joker ! Du dos de mon dossard, je déscotche le gel énergétique dont je nâai cessé de vérifier la présence depuis le départ. Fruit tropical, zut ! Câest le même parfum que celui que jâai eu au 30ème ! Je surmonte sans trop de problème cette déception, et boucle quand même le 36ème en 6â14.
Jâentends un spectateur crier que les montées, câest fini. Jâespère quâil ne se trompe pas comme cette dame qui, au 33ème encourageait en disant : " allez, plus quâune demi-heure ! ". On sâest regardés avec mes voisins coureurs, on souriait jaune. Jâentame alors une nouvelle formule de motivation : je me focalise sur le panneau kilométrique suivant en me disant : et si jâallais rendre visite au panneau 37 (en 5â52). En fait ça doit être signe dâune perte de lucidité totale : je me mets à parler aux panneaux !
Les signes de crampe sont inquiétants maintenant : à chaque foulée je sens la crampe dans le mollet droit qui se forme, se relâche, se reforme, se relâche⦠Ca fait un suspense assez inquiétant. Je fais de mon mieux pour faire des gestes très réguliers et sans à -coups. Je passe sans un regard le stand du marathon de Vannes. Lâodeur de cidre ne me fait pas envie, en fait !
Allez, je dis un petit bonjour au km 38, en 5â49. Câest bien je sens que je tiens le coup. Je me sens surtout bien par rapport à certains voisins. Un coureur qui me semblait en forme voir une connaissance sur le côté. Il se tourne lance un grand " coucou ", reprend sa ligne puis sâarrête, net ! Il crie et saute sur un pied, bloqué par une crampe. Mon mollet reste inquiétant, mais ça ne semble pas empirer. Bonjour, kilomètre 39, content de te voir (en 5â45).
Au ravitaillement du 40ème, je ne prends que de lâeau (mais je bois tout !) et un sucre. Ca sent le bonheur, câest pas loin, jây crois ! Je me sens encore relativement bien, mais je nâose pas accélérer, à cause du mollet. Pas besoin de faire de folie. Et voilà le panneau 41, content de te voir, toi ! Je sens que câest vraiment bon, alors je mâautorise à me débrider, et je me dis. Tiens, les 195 derniers mètres, câest comme une série VMA, je pourrais la faire comme ça ! Je passe au panneau 42 (si tu savais ce que jâai rêvé de toi, sacré panneau !) en 5â27, jâai déjà accéléré.
Et je vois lâarrivée, je relève la tête pour les photographes et je sprinte ! Bon câest pas vraiment VMA puisque je couvre les 195m en 50 secondes, mais câest pas mal (14 km/h quand même) ! Yeeeeeees, jây suis, le méga-bonus, je passe la ligne en poussant un cri. Je reprends mon souffle, câest lâémotion, wow ! Je suis passé, je lâai fait ! Le chrono indique 3h57â12.
Après lâarrivée
Câest là que ça coince. Manifestement, 35 000 inscrits, câest la surcharge ! Je reprends un peu mes esprits et me laisse porter par la masse dâarrivants : récupération des puces, distribution des jolies capes de pluie bleues (pratique pour la rando ça !), ravitaillement (léger dâailleurs) : câest la cohue et ça ne fait que commencer.
Arrivée aux vestiaires, câest toujours autant la pagaille. Je me change, avale deux Doliprane. Puis jâessaie de rejoindre ma femme : le rendez-vous est fixé au panneau alphabétique O. Après avoir péniblement progressé de 100 ou 200 mètres dans une foule compacte, je mâaperçois quâil nây a pas de panneau alphabétique, contrairement à ce qui était annoncé. Dépité, énervé, je trouve un coin de pelouse pour mâétirer, tourne, tourne, sans succès. Le fait de ne pas pouvoir partager ce moment est vraiment décevant, lâorganisation a vraiment foiré ! Je nâétais pas le seul dâailleurs à être perdu. Comme en plus les téléphones portables ne passaient pas (congestion), impossible de se joindre même en empruntant un mobile à quelquâun.
Moralité, obligé de rentrer seul, la joie était gâchée, quel dommage !
Les séquelles
En dépit des étirements, des massages à lâarnica, des doliprane et de la douche écossaise (horrible cette eau froide !), ce qui devait arriver arriva : je suis fourbu de chez fourbu. Ma démarche est un peu chaotique, la descente des escaliers périlleuse et quand je mâassois câest en général accompagné dâun soupir profond ;-) Il mâest difficile de savoir si plutôt des courbatures ou de la tendinite.
Côté courbatures, tout le monde est là , et bien là : les quadriceps en tête, les mollets, les ischio-jambiers, les adducteurs aussi. Câest bien tendu, je vais continuer à masser et à étirer dans les prochains jours. Je sens pas mal la tendinite, mais il me semble que jâai connu pire de ce côté-là , ça nâest manifestement pas critique.
Pour le reste du corps, pas de catastrophe : quelques irritations à lâaine, en bas du dos (sans doute une couture du cuissard qui a frotté), et une petite ampoule intérieur pied gauche (jâavais anticipé par un pansement préventif, je ne lâai même pas senti pendant la course). Je sens que les pieds ont souffert mais ils tiennent le coup.
Analyse du marathon 2004
Juste un mot : super ! Je nâai vraiment aucun regret sur ma course : je suis parti pour aller le plus loin possible, câest ce que jâai fait ! Je nâai pas focalisé sur mon rythme, sauf lorsquâil sâagissait de ne pas aller trop vite. Le temps estimé était de 4h, je fais 3â de moins. Je nâai jamais eu de problème de souffle, je nâai pas pris le mur en pleine face, je me suis toujours senti bien et en confiance. Seule la crampe au mollet mâa vraiment inquiété.
Vus mes moyens au départ, avec ma préparation contrariée, je crois que jâai bien géré. Je me suis concentré sur mon rythme, jâai bien pris mon temps pour les ravitaillements, ça certainement joué. Au niveau rythme jâai été régulier, le second semi en 2h et 4 secondes contre 1h57 au premier. Bien sûr jâai un peu ralenti après le 30ème, mais ça restait raisonnable, et je ne me suis pas senti flancher, comme cela avait été le cas aux 20km de Paris. Je me paye même le luxe dâaccélérer sur la fin.
Pour un premier marathon câest idéal : jâai pris plaisir, je me suis laissé de la marge de progression et je me suis prouvé que je pouvais le faire. En bref, une expérience réussie qui en appelle dâautres⦠Mais il est encore trop tôt pour en parler, je préfère savourer.
En tous cas, un grand merci à tous ceux dâentre vous qui mâont encouragé, avec trois mentions spéciales : Eric74 alias riri74 et Forrest, mes collègues blogueurs qui réussiront sans doute des courses bien plus fortes encore, et puis Titus, lâhomme qui a dit non, celui qui mâa mis dans la tête de ne pas laisser tomber et dont jâai suivi à la lettre le programme de rétablissement ces deux dernières semaines. Merci Titus !