La préparation du marathon s'était bien passée... jusqu'à deux semaines de l'objectif. 10 semaines à 3 séances par semaine, 40 à 50 bornes les bonnes semaines, tenu sans trop de douleur. Un ischio-jambier un peu tendu à gauche après les 20km de Paris m'a fortement fait craindre que ne se répète le scénario du marathon de Paris au printemps : élongation, coup de poignard et abandon (tout le monde n'est pas capable de poursuivre dans ces conditions !). Donc repos total les deux dernières semaines, l'essentiel de la préparation était fait de toutes façons.

Nous arrivons, ma belle et moi, à New York le jeudi. Je suis tout excité de découvrir la ville et, le décalage horaire aidant, les journées démarrent tôt. Le vendredi sera très, très chargé: downtown, bateau pour admirer la statute de la liberté, l'expo pour retirer le dossard, chinatown, musée d'art moderne et même un concert le soir ! Nous terminons la journée éreintés mais les yeux remplis de belles images de la ville sous le soleil.

La skyline vue du ferry vers Staten Island

La statue de la liberté, vue aussi du ferry

Samedi, c'est la friendship run, occasion du rendez-vous CLM, parfaitement organisé par un pconvert en grande forme. Comme toujours, une belle rencontre, des échanges pleins de sympathie, de belles photos avec le drapeau CLM et en prime pour moi une course avec ma douce. Le peloton est chaleureux malgré le froid. Dommage que la ballade dans Central Park ait été écourtée.

Le rendez-vous CLM, avec le drapeau !

Nouvelle journée de visite et de shopping puis c'est la pasta party. Vraiment très bien organisée, très bonne atmosphère, bonnes pâtes (bien cuites en plus !), le tout se terminant avec un feu d'artifice dans Central park. Il est temps alors de préparer les affaires pour la course, de fixer les points de rencontre avec ma supportrice n°1 qui courra elle aussi son "marathon des accompagnateurs" (chapeau !). La tension monte, je suis déjà dans la course...

Dimanche matin, je suis debout à 4h30, le réveil n'a même pas le temps de sonner. Petit-déj copieux (mais pas grâce à l'hôtel qui ne fait rien de spécial pour l'occasion) je vérifie quatre fois mes affaires et c'est déjà l'heure du bus. Nous avons un bus affrêté par le tour-opérator, ce qui est un point très positif, de ce que je comprends d'autres expériences m'ayant été contées. En plus, il dispose de toilettes ce qui évite d'avoir recours à des systèmes, disons... ingénieux, pour tenir le temps du trajet. Notre chauffeur doit avoir des origines françaises, il double allègrement ses collègues dans la file menant au départ: on a dû gagner au moins 30 minutes !

Débarquement à Fort Wadworth sur Staten Island, pour la longue période d'attente. Le temps est idéal, pas trop froid. Tout est prévu, café, thé, bagels, massages, barres énergétiques, toilettes en masse. Une déception pour moi, la pissotière géante dont j'ai tant entendu parler n'est pas dans le sas bleu, celui de mon dossard. J'ai manqué quelque chose ! Je passe le temps en discutant un bout avec deux allemands, puis je me mets en tenue, avec un crémage anti-échauffement renforcé. Je prends ensuite place dans la file qui correspond à mon numéro de dossard. Tout est vraiment bien organisé, c'est pas la bousculade et l'ambiance reste décontractée.

A une demi-heure du départ, nous avançons vers la ligne, en bas du pont de Verrazzano. Premier moment d 'émotion en voyant cette foule de coureurs et surtout ce pont majestueux. J'en prends plein les yeux et je sais que ça ne fait que commencer. Derniers instants avant le départ, je regrette de ne pas avoir été placé de manière à entendre l'hymne américain, c'est toujours émouvant mais ça y est le canon retentit, on avance au son de New York, New York, avec sur notre droite un groupe et des danseuses et sur la gauche des spectateurs placés en haut de bus panoramiques. Voilà la ligne, c'est parti !!!!

Je ne m'en suis pas rendu compte sur le coup, mais la montée est sévère. Je pars tranquille, fais une ou deux photos par ci-par là. J'aperçois ensuite le corsaire jaune de lecousin à 100m devant. J'accélère, je me faufile pour lui dire un petit bonjour. Je produis mon effort (inconscient, va !) et réussis à échanger un peu avec lui, avant de le laisser partir pour une super perf pour son premier marathon. En montant sur le muret au centre du pont, pour prendre une photo du paysage, c'est très sensible: le pont tremble, vibre, il est remué par les milliers de pieds qui le frappent ! C'est impressionnant !

Sur le pont de Verrazzano

On est déjà dans le deuxième mile, et le pont se termine. Voici Brooklyn, où nous allons passer tout le premier semi. Premiers spectateurs, premiers encouragements et déjà je sens qu'on n'est pas à Paris: ça encourage vraiment. Les "looking good", "you're all winners" sont légion, je distribue quelques high-five à des gamins sur le côté. Premières pancartes aussi, notamment celle-ci dont le slogan m'accompagnera toute la course :"finishing is the only fucking option". Tout à fait vrai, je suis bien dans cet état d'esprit !

Un virage à droite et nous voilà dans la 4ème avenue, pour presque 5 miles ! Une longue ligne droite à admirer le ruban de coureurs en flot ininterrompu, à profiter d'un faux-plat persistant sur lequel il ne faut pas s'emballer.

La 4ème avenue sur Brooklyn

Je prends mon rythme, entre 9' et 9'30" au mile, malgré de fréquents arrêts photos. L'ischio gauche, un peu tendu au début, se détend progressivement. Les premiers ravitaillements arrivent et le constat est formel : l'eau est glacée, impossible de s'hydrater proprement sans risquer les problèmes digestifs. Je vais galérer avec ça tout au long de la course, à garder l'eau en bouche pour la réchauffer, au péril de mon souffle ! Mais tout cela est peu de chose par rapport au plaisir que je prends à observer notre environnement. Sur les côtés de la route, une foule pas encore trop dense mais déjà fournie, des barbecues installés sur les côtés, des gens rassemblés devant leur église, sur leurs balcons. Manifestement, ils prennent eux aussi du bon temps à nous voir passer et à nous encourager. Les orchestres sont régulièrement espacés, plutôt rocks (ça stimule). Le peloton, lui, est assez tranquille, concentré. Je passe au 5ème kilo en 30'17, puis au 10ème en 58'48". Un peu lent et en plus, j'ai déjà faim (ou alors c'est l'eau glacée dans l'estomac) donc je prends déjà un gel.

J'approche de mon premier point de rendez-vous avec ma fidèle accompagnatrice. Il y a de plus en plus de spectateurs. Je sais qu'elle m'attend au 8ème mile sur la gauche, donc je suis obligé de passer chez les dossards orange temporairement. Au coin de Pacific Street, comme prévu, la voilà ! C'est moi qui la découvre en train d'encourager un autre coureur et je la prends dans mes bras, c'est chouette de se retrouver comme ça ! Me voilà reparti alors que nous tournons à droite vers Lafayette avenue.

Et là c'est le premier moment intense, de vraie foule ! Une ambiance que je qualifie souvent de "tour de france", les spectateurs débordant sur la rue, enthousiastes. La sensation d'être porté, attention de ne pas accélérer, en plus ça monte ! On est vraiment proches des spectateurs, la sensation d'être portés est impressionnante, c'est ça qu'on cherche en venant à New York !

Je suis toujours dans mes allures, 1h26'47" au 15ème kilo, un peu juste pour les 4h mais ça reste faisable. On aborde des zones plus calmes, d'abord le quartier juif, on ne peut pas le rater mais l'ambiance est beaucoup moins enthousiaste puis des zones plus industrielles avant le Pulaski bridge. C'est là qu'arrive le semi, que je passe en 2h01'49". Les 4h, j'y crois encore à ce moment-là, je n'ai pas trop l'impression d'être entamé. Pause photo bien sûr sur le pont pour immortaliser mon passage, et on passe dans le Queen's.

L'ambiance est moins festive ici, encore pas mal de zones industrielles, mais toujours un peu de monde sur la route quand même. Le peloton se fait plus silencieux alors que se profile à l'horizon le célèbre, le fameux, le Queensboro Bridge qui va nous amener sur Manhattan. Mais d'abord il faut le monter. Et c'est dur, y a du dénivelé, on est au niveau inférieur du pont, avec de vrais passages dans l'obscurité où l'expérience parisienne me fait lancer des "hééééhooo" pour animer le peloton. Au passage, on franchit le 25ème kilo (en 2h25'41" pour moi). A ce moment je sais que mon ischio va tenir, il ne se manifeste plus. Il ne reste plus qu'à tenir les 10 derniers miles. Et comme dit le panneau ING, non sans humour américain, à la fin du pont : if easier is only 10 miles left, then welcome to easier.

La sortie du Queensboro bridge et arrivée sur Manhattant, vue du pont.

La sortie du Queensboro est le moment le plus intense de cette course. Nous arrivons sur Manhattan et découvrons une foule vraiment dense, massée sur 5-10 rangées selon les endroits. Un 270° sur la gauche nous amène sur la gigantesque 1st avenue. Elle s'étend à perte de vue, et nous fait à nouveau découvrir un ruban ininterrompu, non seulement de coureurs mais de spectateurs. Les encouragements atteignent un niveau d'intensité tel que j'en ai le souffle coupé. Littéralement, il me faut une cinquantaine de mètre en expirant fortement pour retrouver un rythme de respiration adapté. Wow ! Quelle sensation !

La première avenue

Concentré sur la foule, il me faut du temps pour réaliser le faux-plat que représente l'avenue. Elle n'est jamais plate, et totalement traître. Alors qu'on approche du 30ème kilo, je fais attention de ne pas forcer, le coeur de la course n'a pas encore vraiment démarré. Mon second point de rendez-vous avec ma douce et tendre approche (18ème mile), je me place donc sur le côté gauche de la route, proche des spectateurs qui ne manquent pas d'encourager tout ce qui se passe: "allez la france", "go france", quelques "allez les bleus" même... Et la voilà, coincée au milieu du carrefour de la 86ème rue, je me contente cette fois d'un signe de la main, c'est plus difficile de s'arrêter...

Je passe ensuite le 30ème kilo en 2h54'49", et là il faut commencer à se fixer des objectifs raisonnables. D'abord, viser le Bronx, là-bas au bout de l'avenue. Mais mon mollet se fait sentir: des débuts de crampe qui m'obligent à modifier un peu la foulée pour essayer d'étirer. Au bout de 3-4 minutes ça semble passer. Ca reviendra une fois ou deux mais heureusement sans se transformer en vraie crampe. L'effet des gels antioxydants peut-être (pris au 15ème, 25ème et 35ème kilo). Cette alerte m'a refroidi, et je vais prendre un second coup au passage du pont vers le Bronx, le Willis avenue bridge.

Il est tapissé de rouge pour nous éviter de courir sur la grille en fer. La montée est relativement courte mais, arrivé en haut, je sens que les jambes sont coupées, bien dures. Voilà les premiers signes de fatigue, et il reste plus de 6 miles. Pas énormément de monde dans le Bronx, malgré quelques DJ bien remontés. J'essaie de maintenir l'allure tant bien que mal. On ressort assez vite pour revenir dans Manhattan où après quelques détours nous voilà dans la 5ème avenue. Je n'ai plus trop de lucidité donc j'ai beaucoup de mal à savoir si je suis loin ou pas du 35ème kilo, qui est mon prochain objectif : avant ou après le 22ème mile ? Finalement le voilà, dans Harlem, un peu avant ce 22ème mile. Je le passe en 3h24'10", j'ai ralenti et là je sais que c'est foutu pour les 4h. Même 4h05 c'est chaud, 4h10 encore faisable. Pas grave, c'est pas ça qui compte, mais je sais qu'au-delà de cette limite, je vais finir. Reste à savoir dans quel état. L'ambiance dans Harlem est encourageante mais pas extraordinaire: quelques piétons traversent devant nous et manquent de couper la route, ce qui est dur à éviter et à gérer à ce moment de la course.

J'approche de Central park, la 5ème avenue n'est toujours pas plate (pourquoi ça monte toujours ici ?) mais on retrouve une ambiance plus fournie avec des rangées denses de spectateurs. Je suis arrivé au point de me fixer mes objectifs mile par mile. Au 24ème je dois retrouver ma belle accompagnatrice, j'attends ce moment avec impatience, il me fait avancer. Je ne lâche pas prise et voilà l'entrée dans Central Park.

Les derniers miles dans Central Park

Ma belle est là, dans un virage, elle prend même une photo et ses encouragements me font du bien. Mon cousin et sa femme sont un peu plus loin mais je ne les verrai pas, j'entendrai juste la fin d'un "Allez Mathieu" que je ne reconnais pas de suite, fatigue oblige. Je suis en résistance, le coeur a depuis longtemps quitté la zone des 160-170 pour toucher les 190 malgré mon allure d'endurance, péniblement à 10km/h. Central Park est plein de bosses, heureusement que la foule est présente. Je reste sur les côtés de la route pour être plus encouragé, et il me reste juste assez d'énergie pour lever le poing quand on m'encourage et adresser des sourires. Je vise maintenant le 40ème kilo, en me disant qu'il reste environ 20 minutes, soit le temps de récupération classique d'une séance longue, à l'allure footing. Voilà ce 40ème kilo, passé en 3h54'30". Les 4h08 sont accessibles, ai-je la lucidité de calculer.

Nous sortons de Central Park pour en longer le sud : là aussi la foule est dense, je commence à me dire qu'il faut que je profite de ces instants, de cette fin de course, de cette ambiance, de cette superbe vue sur Columbus Circle en point de mire. Mais les petites montées me rappellent que j'ai hâte d'en finir. Je vois des coureurs me marcher et je surprends mon esprit à penser : "et si, moi aussi...". Pour la première fois de mes trois marathons, je me demande ce que je fais là... Mais en même temps, je sais que je suis chanceux d'être à New York et de finir.

Voilà, on rentre à nouveau dans Central Park pour 500-600m, avec un groupe qui nous encourage sur Columbus Circle. J'y suis, je profite, je sais que c'est bon, j'écoute la foule, je prends des photos de la ligne, de la banderole des 26 miles... C'est génial, je franchis la ligne en 4h07'51", les jambes en béton mais content d'avoir à nouveau défié la distance avec succès.

La ligne d'arrivée, enfin !

Après ce passage de la ligne, commence le parcours du combattant. Couverture de survie, enlever la puce, ravitaillement (léger, trop léger, seul reproche à l'organisation) attendre. Ca coince dans Central Park pour rejoindre les camions de vêtements, d'autant que le mien est l'avant-dernier (71 quand même !) en raison de l'ordre alphabétique utilisé. Grrrrrr ! ou plutôt Brrrrrr ! car le soleil tombe et il commence à faire froid. Il me faudra bien 30 à 40 minutes pour récupérer mon sac. Au passage, j'admire les couleurs de Central Park.

C'est beau Central Park en automne ! Le calme après la tempête...

Je suis bien transi lorsque j'atteins enfin mes affaires. Heureusement j'ai prévu du chaud, du bien chaud, et de quoi manger un peu. Complètement raide, je parviens quand même à me changer et clopine jusqu'au point de rendez-vous pour retrouver ma douce. Hug, félicitations... C'est vraiment génial qu'elle soit là, qu'elle ait partagé à sa manière ce moment avec moi, ça décuple le plaisir de l'événement. Nous nous prenons un bretzel au fromage et suivons la foule pour retourner (à pied) à l'hôtel... Un peu de repos et ensuite... le séjour n'est pas fini, il reste des visites à faire le lendemain !!!!