7h30, j'arrive à peu près à l'heure pour la photo CLM à l'arc de triomphe. On ne peut pas manquer la banière CLM et je suis très heureux de faire enfin la connaissance de riri, fondateur et général en chef de ce site, que dis-je, de cette communauté. Je retrouve également quelques têtes connues et d'autres nouvelles, pour un moment tout à fait décontracté et convivial... comme d'habitude.

Au vestiaire, petit coucou à Zyend (2h45 dans la fournaise, mais comment il fait ?). Puis c'est la préparation, désormais assez classique pour moi : pommade anti-frottements, tenue aussi légère que possible, casquette, banane bourrée de gels énérgétiques... Je remonte ensuite tranquillement vers l'avenue des Champs Elysées, m'étire dans une rue adjacente puis direction le sas bleu des 3h30. Il est 8h15. Pour une fois, pas de bousculade à l'entrée. Mais toujours aussi peu de toilettes. Je fais la queue pour les pissotières mais le nombre est insuffisant, la file est indisciplinée (car l'emplacement est mal choisi à côté de l'entrée). Je réussirais à atteindre ce but recherché 30" seulement avant le départ. Au moins je n'ai pas vu passer l'attente !

Emotion pour ce départ, la musique me met les larmes aux yeux, et je sais qu'il va falloir puiser pour finir. Je n'imaginais combien cette prédiction se réaliserait. Je passe la ligne après 3-4 minutes de piétinement, le chrono est enclenché, c'est parti ! Premiers kilomètres en descente, attention aux cameramen en plein milieu, j'essaie de me concentrer pour ne pas aller trop vite, je me retrouve déporté sur la droite de la place de la Concorde, et reprends ma place dans le flux de coureurs. Attention à ne pas zigzaguer, ça épuise, et mon rythme est à peu près conforme aux prévisions, je passe au km 5 en 25'07". Déjà, je fais attention à choisir l'ombre quand c'est possible.

Je réalise dans ces premières foulées toute la différence entre Paris et New York. Ce n'est pas qu'il n'y ait pas de spectateurs. Il y en a sur le bord des rues. Certes moins qu'à New York, même dans les premiers miles. Mais ils sont complètement silencieux. Ca donne une impression de longue procession silencieuse: "Ho regardez tous ces gens qui partent au combat, comment leur dire qu'ils sont malades ?". Alors qu'à New York, ça vire parfois à l'hystérie, et ça pousse les coureurs (parfois trop d'ailleurs, il faut pouvoir s'en dégager).

Le premier ravito est vraiment chaotique, j'attrape une bouteille, une banane, puis tombe dans un bouchon: l'entrée du faubourg saint-antoine est beaucoup trop étroite, il me semblait que les autres années ils ouvraient les deux voies, cette année une seule: ça piétine et ça rale ! J'en profite pour boire quelques gorgées et initier le rituel de chaque ravitaillement : un peu d'eau dans le coup, un peu dans la casquette pour me rafraichir.

De Bastille à Vincennes ensuite, j'essaie de m'installer dans le rythme mais suis un peu irrégulier: des kilos à 4'50", d'autres à 5'15". 50'26" au 10ème, c'est tout à fait bien. On entre dans Vincennes et le bois et, juste après l'épongeage (où je plonge toujours ma casquette), j'aperçois le corsaire de bogeyman que je rejoins. A partir de là s'engagent les meilleurs moments de ce marathon, l'apogée, le zénith ! Nous devisons en courant, le rythme est bon, peut-être un peu trop rapide sur la fin du bois de Vincennes. Au passage, nous retrouvons xiii, que nous saluons mais qui nous laisse partir, puis pelot auquel j'ai le temps d'adresser mes félicitations pour ses magnifiques billets sur CLM !

Passage au semi en 1h46'02", c'est dans la fourchette rapide mais à ce moment je ne réalise pas combien je vais le payer. Je me sens bien, j'ai l'allure dans les jambes, je dois me contenir de ne pas accélérer. Nous restons dans le rythme des 5' au kilo jusqu'au 25ème, en profitant de ce que je trouve la partie du parcours la plus animée: le semi, rue de Charenton, Daumesnil, la Bastille. Enfin un peu d'animation. Au passage, je franchis le point où mon élongation était apparue l'an dernier et m'avait forcé à l'abandon. Content de le passer sans encombre celui-là !

Nous descendons enfin sur les quais. La transition est dure ! Mon coeur, qui s'était jusque-là relativement bien tenu (vers les 170 jusqu'au semi environ), tend maintenant vers les 180. Pas eu d'accélération, juste la dérive liée à la fatigue et à la chaleur. J'essaie de réduire un peu l'allure et dis à bogeyman de ne pas m'attendre. Je le perds de vue dans un tunnel, le reverrai un moment vers le 30ème, puis il filera vers ses 3h29, un énorme bravo à lui et merci de m'avoir accompagné !

Me voilà donc seul, sur les quais, dans les tunnels, aux prises avec un coeur qui monte et des jambes qui, jusque-là, suivent. Ma tête me dit de ralentir mais les jambes refusent de changer leur rythme, je passe au 30ème kilo en 2h30'59", les derniers 5 kilos ont été courus en 25'33". Pourtant, les jambes se sont faites plus dures depuis le 28ème. Et surtout ma perception du parcours, mentale, a changé. D'une promenade au cours de laquelle j'identifiais des passages à parcourir, notant benoitement le défilement des kilomètres, je suis passé au décompte kilomètre par kilomètre, en essayant de me rappeler où il se situe. Et tout ça alors que les difficultés ne font que se profiler. La course ne commence qu'au 30ème kilo.

Je marche un peu au ravitaillement du 30ème, prends un gobelet de Powerade, j'ai pris un gel anti-crampes juste avant avec le reste de ma bouteille d'eau. je me relance et commence la vraie course, les 12*1000m, l'épreuve ! Je reste vers 5'10" au kilomètre, je me dis qu'il n'est pas anormal que le coeur soit un peu élevé (tu parles, il approche les 188-189, c'est bien dans le dur !). La rue Mirabeau est franchie, je longe Roland-Garros. Les jambes sont lourdes, l'arrivée reste un lointain espoir, et il fait chaud, chaud, chaud...

A Auteuil, je souffre, mais moins que d'autres, je double d'ailleurs pas mal mais y prête de moins en moins attention, focalisé sur la nécessité d'atteindre le kilomètre suivant. Je suis vers 5'15"-5'20" au kilomètre, mais j'ai franchi le palier des 190 pulsations. J'essaie de ne pas pousser, de ne pas trop forcer. Les pensées négatives sont les plus présentes : qu'est-ce que je fais là ? Mais que c'est dur ! J'ai les jambes en béton, les pieds sont à 90°. Curieusement, pas de crampe au mollet, c'est bien la première fois que cela m'est épargné. Mais impossible de m'accrocher à ce point positif, je broie du noir.

Toujours dans cette allure de 5'10-5'20, j'arrive vers les km 38-39, entre jambes durcies, gorgées d'eau, pieds en feu et coeur qui n'en peut mais. Il y a bien longtemps que je ne vois plus le paysage, seule la route retient mon attention. Tout à l'heure, je n'avais déjà pas regardé la Tour Eiffel, alors le bois de Boulogne, vous pensez ! Et à ce point de mon récit, il me faut préciser que tout ce qui suit n'est plus que bribes, images arrachées à de vagues souvenirs, au milieu d'un brouillard épais, comme celui d'un rêve.

Je me souviens vaguement de mon allure qui descend vers les 10 km/h, d'une arche (au km 41), d'encouragements ("plus qu'un kilomètre", tu parles, il en reste 1,195), du rond point au bas de l'avenue Foch (mais que c'est long un rond-point)... Et c'est tout. Oui, c'est tout: l'arrivée, la ligne, la médaille, je sais que c'est arrivé car j'ai arrêté mon chrono pile dans le temps annoncé par le site web. Mais point de souvenir.

Le film reprend dans la tente de la Croix-Rouge, en réhydratation, complètement dans les vaps. A ce moment je ne sais pas si j'ai franchi la ligne, et je m'en fous. Je sais que j'ai perdu connaissance, que je suis allé trop loin, que j'aurais dû marcher, ralentir plus tôt, tout faire pour ne pas arriver dans cet état. A cet instant, j'ai peur pour ma santé, je vais tout arrêter, je pense à ma famille qui doit s'inquiéter (avec raison)... Je vous passe la phase où l'extraordinaire équipe de la croix-rouge m'aide à émerger, à faire descendre la fièvre de l'hyperthermie puis à me relever. Tiens ? Une médaille. J'aurais passé la ligne ? Quel intérêt puisque je n'en ai pas profité. Quel intérêt ces 42 bornes si je ne profite pas de la délivrance, de la joie de voir approcher puis de franchir ce tapis rouge, d'entendre le "félicitations" du bénévole ? C'est pour le souvenir de ces moments d'émotion que le marathon est si spécial. Toute l'aventure, les 9 semaines de préparation, la course, deviennent vides de sens... L'important c'est la famille, la santé, comment ai-je pu les écarter de mon esprit ?

Longtemps après, je suis enfin ressorti de la tente de la Croix-Rouge, les remerciant chaleureusement, puis je suis rentré chez moi pour essayer de rassurer. Je ferai le point rapidement avec mon médecin sur cet épisode. Un check-up s'impose. Et sans doute une certaine conception de la CAP sera-t-elle à revoir chez moi... Plus de convivialité, moins de perf, moins de long et surtout moins de chaleur.

Ha, au fait, 3h36'23" sont les chiffres officiels, record personnel battu de plus de 7', mais quelle importance ?